Kévin Pusceddu, formateur pour notre organisme sur la formation Technique des caméras à grands capteurs, revient avec nous sur l’importance de la préparation dans le cadre de son travail d’assistant caméra. Il partage avec nous ses dernières expériences de tournage dont « The Last Duel » de Ridley Scott sorti le 13 octobre 2021.
Que représente la préparation dans le travail d’un assistant caméra ?
Kévin Pusceddu : La préparation représente la partie la plus importante et la plus précieuse pour la réussite d’un tournage. C’est encore plus véridique pour un tournage à longue période comme celui d’un long métrage ou d’une série. Pour un tournage de long-métrage, c’est généralement à partir de la deuxième semaine que l’on peut voir si notre préparation a été bonne et si elle va nous permettre de passer un bon tournage. Dans le cas contraire, on sera toujours en retard sur les évènements, à les subir à chaque fois au lieu de les anticiper. Alfred Hitchcock disait qu’un film se fait dans les bureaux, avant le tournage. On retrouve la force de cette pensée dans chaque poste d’une équipe technique.
Le travail d’un assistant caméra commence deux à trois semaines avant les essais caméras. Il devra obtenir de nombreuses informations sur le tournage, sur le matériel choisi, sur les réglages, les différentes configurations, et sur chacun de ses interlocuteurs. Il devra s’assurer que tous les membres de son équipe ont à la fois les bonnes et les mêmes informations. Pour cela, une certaine méthodologie est commune à tous les projets, mais il faut être capable de l’adapter et la mettre à jour selon les prérogatives de chaque tournage.
Quelles sont les questions essentielles auxquelles doit pouvoir répondre l’assistant caméra pendant la préparation ?
Kévin Pusceddu : Pendant la préparation, l’assistant caméra doit bien évidemment se renseigner sur les choix du chef opérateur comme celui de la caméra, de ses réglages, des optiques, des filtres… En fonction de ces choix imposés, il va y avoir comme un lien de cause à effet. Si on prend tel article, on va donc devoir choisir telle configuration, ce qui va impliquer encore une nouvelle conséquence, et ainsi de suite.
Il lui faudra ensuite anticiper toutes les contraintes. Notamment celles relatives au décor, aux choix de mise en scène envisagés, aux moyens de transport, au budget du film… Plusieurs contacts peuvent être faits durant la préparation avec la régie, la production, la lumière, la machinerie, la post-production pour identifier toutes ces données.
Grâce aux différentes rencontres et à ses précédents tournages, un assistant caméra va se créer comme une « boite à outils » d’expérience. En fonction des contraintes qu’il a pu repérer durant sa recherche d’informations, il va sortir de sa « boite à outils » telle ou telle solution dont il aura déjà pu tester l’efficacité durant de précédents tournages.
L’autre allié à l’expérience est la curiosité. N’ayons pas peur de se placer, même après des années d’expérience, comme élève. On apprend tout le temps, et si ce n’était plus le cas, nos métiers seraient bien tristes.
La remise en question est la base de tout. Nos contacts proches comme les chefs opérateurs, les assistants caméras, DIT, Data manager, loueur, constructeur sont de véritables mines d’or dans notre recherche de solutions.
L’AOA qui est une association regroupant de nombreux assistants caméra est un véritable atout pour partager des connaissances, obtenir des retours d’expérience qui peuvent coïncider avec votre préparation. De plus, l’AOA organise des workshops avec des comptes rendus vraiment intéressants pour enrichir sa « boite à outils ».
Mais attention, chaque expérience apporte son lot de nouveautés. Ce qui a marché autrefois ne va pas nécessairement marcher à tous les coups. L’adaptation sera donc une qualité nécessaire pour bien préparer son tournage à travers tous ces facteurs.
En pratique, à quelle situation nouvelle et atypique as-tu été récemment confronté sur une préparation, faisant appel à des qualités d’adaptation ?
Kévin Pusceddu : J’ai participé en 2019 au tournage du film « Mystère » de Denis Imbert. Cette production se tournait dans le Cantal, vers le Puy Marie, c’est-à-dire en montagne. Je m’occupait de la vidéo et ma contrainte était les déplacements de matériel et principalement du combo. Il s’agit d’une roulante contenant plusieurs moniteurs pour offrir un retour au réalisateur. Avec la difficulté d’accès de certains décors, transporter ce combo était impossible. Nous avons donc opté pour des claies de portage (équipement permettant le transport à dos d’homme de charges lourdes), sur lesquelles nous avons accroché directement les moniteurs.
Toujours sur ce tournage, le froid a été un problème. En dessous d’une certaine température, les moniteurs ne fonctionnent plus. Pour éviter cela, nous avons utilisé des sacs Isotherme pour fixer le moniteur à l’intérieur et nous avons ajouté des chaufferettes dans le sac. Ainsi la chaleur était maintenue et permettait au moniteur de rester au-dessus de 0°.
Enfin, nous avions beaucoup de suivi voiture et il fallait prévoir un retour vidéo dans une voiture suiveuse dans laquelle se trouvait l’équipe pour visualiser le plan à distance. Avec l’équipe, nous avons donc travaillé sur une config vidéo confortable et efficace pour ces moments de rouling.
Quelle est l’importance du travail avec tous les membres de l’équipe caméra pendant la préparation ?
En effet, le travail de préparation se n’arrête pas là. La transmission de l’information à toute les parties concernées est primordiale. Il faut s’assurer que chaque information a été reçue par tous et surtout comprise.
L’assistant caméra va tout d’abord devoir établir rapidement une liste caméra en répondant à toutes les questions essentielles. Je peux d’ailleurs conseiller fortement l’application « CAM LIST » qui permet de créer des listes caméra très précises de manière rapide et efficace. Une liste caméra bien pensée et bien présentée comme celle que propose cette application est un luxe pour faciliter les échanges avec le loueur caméra.
Or, en fonction de la quantité de matériel dont on a besoin, des changements de décors ou de configuration, du travail demandé, l’effectif de l’équipe caméra ne sera pas la même. L’équipe peut varier de deux assistants caméra pour un petit film indépendant à quinze assistants pour une grosse production américaine.
Tu as justement travaillé l’année dernière sur une grosse production de ce type, le film de Ridley Scott sorti le 13 octobre ?
J’ai eu la chance début 2020 de participer au tournage de « The Last Duel » de Ridley Scott. L’organisation, le budget, la quantité de matériel à gérer, tout est différent. On avait 5 caméras, un camion de 45m3 et un autre de 35m3 de matériel à gérer sans compter la partie Data et la partie vidéo qui avaient chacun leur propre camion. Pour vous donner un rapport d’idée, en France, pour un tournage avec 2 caméras (en comptant la vidéo et le data), on est plutôt à un camion de 30m3 quand il ne faut pas le partager en plus avec un autre service.
Concernant l’organisation de l’équipe, chaque caméra regroupe un premier et un second assistants. Pour « The Last Duel », avec 5 caméras nous sommes déjà à 10 assistants caméra. Puis, pour assurer la transition entre chaque caméra avec les questions de logistiques, il y avait le central loading, composé d’un central loader et de 3 assistants. Pour la vidéo et le data, il s’agit d’une équipe différente où chacune était composée de 3 techniciens. Si l’on regroupe ainsi toutes les parties qui constitueraient une équipe caméra en France, nous sommes pour « The Last Duel » à 20 techniciens.
Tu as également travaillé cette année 2021 sur le tournage d’un long-métrage français ? En quoi la configuration était-elle différente du film de Ridley Scott ?
J’ai participé début 2021 au tournage du long métrage « L’échappée belle » de Florence Vignon en tant que second assistant caméra. Cette fois, la configuration de tournage restait simple avec une seule caméra à traiter. L’équipe se composait donc d’un premier assistant caméra, de moi en second assistant et d’un stagiaire pour la vidéo.
En tant que second assistant caméra, je devais gérer également la partie Data. Cela voulait dire que quand j’étais au Data, le premier assistant caméra était seul si un changement de config avait lieu. On s’organise donc d’une certaine manière pour faire en sorte que votre présence/absence au Data ne se fasse pas remarquer.
Il arrive parfois sur certaines productions que l’on prenne un deuxième second assistant caméra. Par exemple, je suis actuellement en tournage sur une série pour France 2 sur laquelle je partage le poste de second assistant caméra avec mon collègue Théo Jubert. Le fait d’être deux seconds assistants caméra nous permet de nous organiser différemment sachant que nous tournons avec deux caméras et que les demandes en Data sont plus poussées. Théo est le second de plateau, toujours présent pour les changements de configs, les annonces de points, le clap…
Pendant ce temps, j’officie davantage comme un second de soutien devant gérer la partie Data et logistique. Je gère les demandes avec le loueur ou avec la régie avec qui l’on s’organise concernant les changements de matériel ou pour anticiper une séquence future. En dehors de ces demandes, je participe également aux changements de configs sur le plateau si besoin ou au clap. Cela demande donc une faculté d’adaptation assez développée de film en film.
Comment la formation « Technique des caméras grand capteur » que tu dispenses aux lapins bleus prépare les stagiaires à l’étape clé de la préparation pour leurs futurs tournages ?
On a donc vu que la préparation s’articulait sous trois axes : la recherches d’informations, les solutions techniques et logistiques à apporter si besoin, et la transmission de chaque information aux personnes concernées.
L’expérience, la rigueur et l’engagement permettront souvent de répondre à ces trois axes. Mais la curiosité et les échanges avec toutes sortes de professionnels sont un énorme atout pour aller vite dans sa démarche de préparation.
La formation « Technique des caméras grand capteurs » proposé par les lapins bleus a pour but de présenter différentes contraintes et solutions techniques que l’on peut trouver sur un tournage. Cette formation se déroule durant une semaine chez RVZ durant laquelle seront présentées aux stagiaires différentes solutions concernant les caméras, les optiques, l’accessoirisation, le Data ou les configs vidéos venant ainsi enrichir leur « boite à outils » de connaissances.
Les échanges avec le formateur ou encore les rencontres avec les techniciens RVZ et les assistants présents en essais seront l’occasion pour chaque stagiaire d’avoir des retours d’expérience qui les aideront par la suite dans la préparation de leurs futurs tournages.