Rencontre avec Pascale Marin, directrice de la photographie, membre de l’AFC, et Pascal Nowak, étalonneur, autour de leur travail collaboratif abordé auprès des stagiaires de la formation Perfectionnement au métier d’étalonneur proposée par notre organisme.
© Image du visuel extraite du film « Des feux dans la nuit » (de Dominique Lienhard, produit par Offshore).
Directrice de la photographie Pascale Marin, étalonné par Vincent Amor.
A quel moment de la production d’un film un chef opérateur et un étalonneur commencent-ils à travailler ensemble ?
Pascale Marin : Dans l’idéal, bien en amont du tournage. Il arrive que pour des raisons de disponibilités, des raisons économiques ou de méconnaissance de la production, cela arrive plus tardivement ou parfois pas du tout, mais l’idéal est le plus tôt, c’est ce que l’on préconise.
En quoi consistent les échanges entre un chef opérateur et un étalonneur pendant la préparation d’un film ?
Pascale Marin : Le plus souvent, quand on se voit avant le tournage, on essaie d’avoir déjà des images sur lesquelles travailler, s’il y a eu des essais artistiques. Mais si cela s’avère impossible, il peut y avoir simplement une discussion de workflow, pour parler format de tournage, codec, etc. Un partage d’informations sur les contraintes de tournage car on n’est pas au même endroit de la chaine.
Comme pour toute autre collaboration sur le plateau, on se parle, on échange, on propose des choses jusqu’à se dire « ça va ». Mes échanges avec les étalonneurs ne sont pas très différents de ma manière de travailler avec mes chefs électro par exemple. Ils peuvent me proposer un projecteur ou une diffusion et je peux leur demander de refroidir un peu la lumière ou de baisser son intensité. C’est vraiment un échange constant avec la maitrise de l’outil de chacun.
Image extraite du film « Avec l’humanité qui convient », réalisé par Kacper Checinski, produit par Takami, directrice de la photographie Pascale Marin, étalonné par Mathilde Delacroix
Pascal Nowak : Plus la personne qui étalonne est impliquée tôt, en effet, mieux c’est. Car elle peut s’imprégner des intentions artistiques propres au projet. Et ensuite, à l’aide d’éventuelles références, du travail sur les essais, des luts fournies, de notre propre sensibilité, et d’une complicité qui peut naitre, des propositions verront le jour.
Nous faisons un métier artisanal. C’est à dire que l’on met au service d’un processus non industriel un certain savoir-faire. Ce savoir-faire, c’est à la fois maitriser l’outil, le logiciel, le pupitre d’étalonnage, et une certaine sensibilité artistique, au service d’un récit.
Pascale, comment s’est déroulée votre journée d’intervention auprès des stagiaires de la formation Perfectionnement au métier d’étalonneur ?
Pascale Marin : J’avais ramené les rushes d’un documentaire que j’avais tourné avec deux caméras différentes. J’avais demandé à mon étalonneur de me faire deux luts afin de raccorder les deux caméras, pour qu’au montage, ils ne se retrouvent pas avec des choses trop disparates. J’ai demandé la même chose aux stagiaires.
J’avais aussi ramené les rushes de deux séquences d’un long métrage de fiction, il y avait à la fois une question de raccord, avec un champ-contre-champ, et aussi dans le même lieu, deux ambiances lumineuses distinctes, un jour et un soir. Il fallait prendre des décisions là-dessus. Comme c’étaient des images en RAW, les stagiaires avaient une grande marge de manœuvre. Ils pouvaient aller à peu près où ils voulaient.
Quelles indications leur aviez-vous données ?
Pascale Marin : J’avais donné aux stagiaires des indications volontairement peu étoffées : « c’est un film noir, et je veux que ça reste très coloré ».
L’objectif était de leur permettre de se frotter à l’outil, de faire leurs propres propositions. Lorsque je sentais qu’ils arrivaient vers quelque chose, je pouvais leur dire « ça j’aime bien, ça moins ou je pense que tu as trop éclairci », c’est souvent une histoire d’ajustement. Et c’est parfois plus facile de savoir ce qu’on ne veut pas, que ce qu’on veut.
A la fin, les stagiaires sur l’exercice d’étalonnage du polar, sont arrivés avec des choses assez différentes. C’était intéressant de voir les différentes directions dans lesquelles on aurait pu partir.
Images extraites du film « Dormitory », réalisé par Nehir Tuna, directeur de la photographie Florent Herry, étalonné par Pascal Nowak
La mise au point d’un vocabulaire commun est-elle nécessaire ?
Pascal Nowak : En effet, le fait de mettre son savoir-faire au service de quelqu’un, n’est pas forcément quelque chose qui est évident.
Il faut savoir être à l’écoute de ce qu’on nous dit, le comprendre, l’interpréter, et pour cela mettre en place un lexique commun. Il arrive par exemple que certains emploient le mot « gamma » pour parler du contraste, et vice versa.
Pascale Marin : Absolument. C’est parfois le cas avec les réalisateurs. Ce sont eux qui valident le film, c’est leur œuvre. Mais ils n’ont pas forcément le bagage technique pour communiquer simplement et justement. Et donc étalonneur et directeur photo sont là pour fluidifier ce dialogue. Comprendre que le réalisateur, lorsqu’il demande quelque chose de plus dense, il veut en réalité qu’on sature les couleurs. Ce sont des choses qu’on apprend en travaillant avec les gens, et comme le dit Pascal, en étant à l’écoute.
Au-delà ou au cours de l’exercice, vous avez pu leur parler de vos différentes expériences ?
Pascale Marin : Je leur ai parlé de différentes expériences que j’ai eues, en documentaire, en fiction, car en matière de maitrise du réel, ce n’est pas la même chose. Les attentes en termes d’étalonnage ne sont pas les mêmes, les temps de travail non plus, tout comme les discussions avec les productions. Pour étalonner un doc télé, on doit avoir un rythme soutenu. Je leur ai parlé de pas mal d’aspects du métier.
Image extraite du film « L’Etoile Filante » d’Abel et Gordon, produit par Courage mon amour et Moteur s’il vous plaît, directrice de la photographie Pascale Marin, étalonné par Natacha Louis
Pascale, qu’est-ce qui vous a donné envie de prendre le temps d’intervenir sur la formation ?
Pascale Marin : Quand on aime son métier, on peut aussi aimer le transmettre. Et pas seulement aux gens qui vont l’exercer. Cette relation étalonneur – chef opérateur est cruciale et elle est un peu méconnue.
Il peut y avoir une tendance à limiter nos métiers à une connaissance d’un ou plusieurs logiciels, du côté des étalonneurs, d’un ou de plusieurs caméras, du côté des chefs op. Bien évidemment, ça ne se limite pas à ça.
Ça me semblait vraiment intéressant qu’un organisme de formation fasse venir un chef opérateur pour des gens qui se destinent à étalonner, je trouvais que c’était une très bonne idée.
Pascal, toi qui dispenses les 5 jours de formation, que représente l’intervention d’une directrice de la photographie pour les stagiaires ?
Pascal Nowak : D’une part, quand j’effectue des exercices avec eux, je ne suis pas directeur de la photo. Ce n’est pas pareil que d’avoir la cheffe opératrice qui amène ses images. C’est elle qui les a tournées, éclairées, avec une intention bien précise et elle est à côté d’eux. D’autre part, il y avait un stagiaire qui tournait, réalisait, étalonnait ses sujets lui-même, et tout à coup, le fait qu’une cheffe opératrice lui formule une demande, cela a changé sa perspective. C’est l’intérêt de ce travail collaboratif.
Pascal Nowak : Pascale, à propos de notre bagage commun dont tu parles, t’est-il déjà arrivé d’avoir affaire à des étalonneurs auxquels tu trouvais qu’ils manquaient certaines références ?
Autrement dit, aujourd’hui où l’étalonnage se démocratise, est-ce qu’il t’est arrivé de travailler avec des étalonneurs et de te dire « il y a un besoin de formation » ?
Pascale Marin : Oui cela m’est arrivé. Heureusement pas très souvent, car en avançant dans le métier, je me retrouve sur des projets mieux financés où je peux choisir mes collaborateurs.
Mais en effet, j’ai parfois rencontré des cas de figure où je me disais qu’il y avait un problème de références. Certaines personnes connaissent le logiciel, mais n’ont pas suffisamment de culture visuelle et cinématographique.
Je fais notamment référence à l’argentique. Il y a derrière nous 120 ans d’histoire du cinéma, avec 100 ans d’argentique, et 20 ans de numérique. C’est donc une référence commune gigantesque.
Il est pour moi crucial qu’un étalonneur sache quelles étaient les contraintes de l’argentique, ce que permettait l’étalonnage à ce moment-là et en quoi c’est lié à ce qu’il permet maintenant. Sans forcément l’avoir pratiqué, il est important qu’il sache ce que cela impliquait en termes de texture d’image, et c’est quelque chose qui peut s’apprendre.