Entretien avec Marine Goujet autour de son métier de première assistante caméra, notamment sur le film de Jacques Audiard, Emilia Pérez, récemment récompensé du César de la Meilleure photo.
Marine a également dispensé pour notre organisme la formation « Technique des caméras à grands capteurs ». Retour sur son parcours, les évolutions au sein de l’équipe image d’un film, et son expérience en tant que formatrice.
- Comment a débuté ton parcours ?
Marine Goujet : Mon envie de cinéma date du lycée. J’ai d’abord fait des études de chimie, parce que j’avais un peu peur de me lancer dans le cinéma, venant d’une famille et d’une région assez éloignées de ce milieu. J’ai fait les classes préparatoires Math Sup & Math Spé, puis une école d’ingénieur en chimie à Paris. En faisant les stages en entreprises, je me suis rendu compte que c’était vraiment du cinéma que je voulais faire, et de l’image en particulier.
- Tu as donc recommencé des études dans cette perspective ?
Marine Goujet : Oui. Ça faisait cinq ans que je n’écrivais plus que des comptes rendus d’expérience chimie. J’ai d’abord tenté Louis Lumière, je l’ai raté une première fois.
J’ai suivi un an de cours à la fac, en Licence 3, à Paris 3, où j’ai eu des profs formidables, Michel Chion, Jacques Aumont… A l’issue de cette année, j’ai réussi le concours de Louis Lumière et de la Fémis, et j’ai choisi Louis Lumière, essentiellement parce que c’était en trois ans au lieu de quatre ans pour la Fémis. J’avais déjà 23 ans, j’avais envie de travailler rapidement.
On a eu des cours de très bon niveau en optique, en chimie des pellicules, en numérique sur le capteur, le signal. Mais le vrai savoir-faire d’un assistant caméra, je l’ai appris sur les plateaux.
- Comment as-tu commencé à travailler ?
Marine Goujet : À la fin de ma dernière année à Louis Lumière, j’ai vu une annonce d’un ancien élève de l’école, le chef opérateur Antoine Monod, qui cherchait un stagiaire image. J’ai postulé et j’ai fait mon premier tournage. C’était en 2007, sur le film Le premier jour du reste de ta vie, tourné en 35mm. Après cette première expérience, j’ai fait pas mal de courts métrages pour rencontrer des gens. J’ai rencontré Antoine Sanier, qui était à l’époque 1er assistant caméra, avec qui j’ai fait des pubs, des courts, et trois longs métrages. J’ai été assistante vidéo pendant trois ans. Après j’ai été seconde pendant deux ans, où j’ai travaillé sur des projets en 35mm et en numérique, plutôt dans le long métrage. Je suis ensuite devenue première assistante caméra, sur une série télé, qui s’appelle En famille. Comme j’étais pressée de passer première, j’ai tout de suite saisi cette opportunité. Les téléfilms apprennent à aller plus vite, à être très efficace.
- En quoi consiste le métier de première assistante caméra, en termes de missions ?
Marine Goujet : On pense tout de suite que la mission d’un premier assistant caméra est de faire le point, mais on est avant tout chef de l’équipe image. On est à la fois responsable d’équipe, responsable du matériel, responsable du point, c’est le cœur de notre métier mais ce n’est pas que ça. On est aussi un interlocuteur : l’interlocuteur du chef opérateur, s’il a des besoins, des envies, il faut qu’on soit là pour trouver des solutions pour lui. On est aussi un peu l’interlocuteur du réalisateur, à certains moments. Les choix de point, ce sont des choix de mise en scène. On est aussi l’interlocuteur de la scripte, parce qu’on lui communique toutes les informations d’image, si on change d’optique, si on met des filtres particuliers, si on change des réglages, il faut pouvoir le signaler à la post production.
Il y a aussi une communication avec l’ingénieur du son, s’il y a des perches, des ombres, on travaille ensemble, on essaie de trouver des solutions. On dialogue un peu avec tout le monde.
Avec le chef machiniste aussi, quand il s’agit de trouver la meilleure configuration de caméra pour chaque situation (grue, top shot, ronin, accroche voiture…).
- Comment alterne-t-on entre productions télévision et productions cinéma ? Est-ce une histoire de rencontres ?
Marine Goujet : J’ai fait pas mal de téléfilms et de séries, mais j’ai eu la chance de rencontrer le chef opérateur Denis Lenoir, sur un court métrage, et c’est lui qui m’a remis dans le long métrage. Ensemble nous avons notamment travaillé sur le film de Mia Hansen Love, Un beau matin, que l’on a tourné en 2021. À partir de là, j’ai fait pas mal de long-métrages plutôt intéressants, dont Emilia Pérez.
- Comment es-tu arrivée à rejoindre l’équipe image d’Emilia Pérez, qui vient de remporter le César de la Meilleure Photo ?
Marine Goujet : L’assistant de Paul Guilhaume, le chef opérateur, est Cyrille Hubert, avec qui il travaille depuis des années. Pour ce film, ils savaient qu’ils tourneraient à deux caméras, donc ils ont fait un casting pour choisir leur assistant caméra B. Je les ai rencontrés tous les deux dans un café, j’étais un peu intimidée, mais ça s’est très bien passé et j’ai eu la chance de faire ce film.
- Comment s’est passé le travail dans l’équipe image ?
Marine Goujet : C’est un film à la fois très chorégraphié et préparé, pour la musique, les chansons. Cela dit, en termes de mise en scène, il y avait des moments où on découvrait un peu à la première prise une partie de ce qu’il se passait, et quand il y a 100 danseurs et 50 figurants, on n’a pas envie de rater. Et on n’avait pas forcément le temps de faire des points avec Cyrille, donc on avait un peu la pression, mais c’était vraiment génial.
- Quelle était la configuration technique sur le plateau ?
En termes de configuration vidéo, on sortait l’image des caméras, cette image allait à la station du DIT (Digital Imaging Technician), elle était traitée par le DIT en direct, et on devait la ramener/ rapporter à notre réalisateur, pour qu’il voit tout de suite une image pré-étalonnée. Le DIT avait déjà des LUTS mais il les modifiait en direct avec les demandes du chef opérateur. C’est simple à dire, mais c’est pas du tout simple à faire.
On travaillait avec des casques à micro, Paul en avait un, moi j’en avais un, le chef electro, le chef machino et le DIT. On avait une communication vraiment directe, et c’était assez nécessaire parce qu’encore une fois quand il y a beaucoup de figurants, et je ne sais pas combien de techniciens, c’est important de garder une communication sur un plateau de 1000 mètres carrés.
- Comment s’organise une équipe image selon le type de projet ?
Marine Goujet : Ça peut varier en fonction de la taille du projet, du nombre de caméras, du nombre d’écrans que l’on nous demande de gérer. S’il y a juste un grand moniteur pour le réalisateur, la scripte, et le chef opérateur, ou alors si chacun veut son moniteur. Quand j’ai commencé, en 2007, en pellicule, il n’y avait qu’un seul moniteur, c’était celui du réalisateur ou de la réalisatrice, le combo. Aujourd’hui, on a tendance à multiplier les écrans. Ça permet au réalisateur de se concentrer, au chef opérateur avec son chef électricien de discuter de la lumière sans empêcher le HMC (Habillage-Maquillage-Coiffure) de faire son travail…
S’il y a beaucoup d’écrans, on va prendre deux assistants vidéo, ou un assistant vidéo et un stagiaire image, ou une configuration avec un DIT.
En général, une équipe image, c’est 3 personnes. Ça arrive que l’on soit deux, mais c’est rare. Sur Emilia Pérez, on n’était que 6, mais on aurait pu être plus, il y a des films où on est 7 ou 8 à l’image. On était 6 : 2 premiers assistants, une seconde, un DIT, et deux assistants vidéo.
- Y-a-t-il une évolution classique au sein de l’équipe image ?
Marine Goujet : Il y a toujours l’évolution classique, troisième, second, premier, cadreur, chef opérateur. Mais il y a aussi de nouvelles passerelles.
On peut commencer assistant vidéo, puis faire une formation, devenir second, puis DIT. Le métier de DIT est un peu une voie parallèle. Mais on peut être DIT et devenir chef opérateur, ou chef électricien et devenir chef opérateur, Il y a aussi des seconds assistants qui aiment le métier de chef opérateur et qui n’ont pas envie de devenir pointeur, et qui passent directement de second à chef opérateur.
Le poste de premier assistant est en première ligne, quand on rate, tout le monde le voit. Moi j’adore mon métier, je trouve que je suis au cœur de tout, je suis proche des acteurs, du réalisateur ou de la réalisatrice, du chef opérateur ou de la cheffe opératrice. C’est à la fois technique et artistique, à la fois un outil de mise en scène et un outil de mise en image.
- Quelle a été ton expérience aux lapins bleus lorsque tu as dispensé la formation « Technique des caméras à grands capteurs » ?
Marine Goujet : Quand j’ai fait cette semaine de formation aux lapins bleus, ce n’était pas complètement nouveau pour moi. Ça fait des années que je fais rentrer des stagiaires dans mon équipe ou des jeunes assistants vidéo, donc j’ai appris à former, à transmettre, de cette manière-là. J’aime ça, si j’ai des assistants, troisième ou second, j’essaie de leur apprendre des choses, que justement on n’apprend pas à l’école. Des choses que seules la pratique et les années d’expérience permettent de savoir. Je trouve cela important et valorisant. Pour la formation aux lapins bleus, j’ai aimé structurer ma pensée, davantage que lorsqu’on donne quelques conseils sur un plateau. Ça oblige à creuser, approfondir et questionner. Le groupe de stagiaires avait très envie d’apprendre, ça s’est très bien passé.
- Est-ce qu’il s’agissait d’une formation plutôt théorique ou de partage de cas pratiques que tu as rencontrés ?
Marine Goujet : Sur le sujet des grands capteurs, c’est indispensable de mobiliser pas mal de connaissances pour donner aux stagiaires une solide base théorique. Par ailleurs, j’utilisais des anecdotes de tournage pour rendre la théorie plus vivante, plus amusante, et ne pas assommer les élèves avec des connaissances.
J’ai fait récemment un workshop pour l’EICAR, autour du métier d’assistant caméra, et j’étais davantage axée sur la pratique.
- Quels étaient les profils des stagiaires ?
Marine Goujet : Ils étaient tous les trois d’horizons très différents. Il y avait un réalisateur de documentaire, qui faisait ses propres films, jusqu’au montage, à l’étalonnage. Il y avait aussi une seconde assistante caméra, qui avait déjà une bonne expérience des plateaux, et le troisième participant avait fait un BTS image et il travaillait chez un loueur de caméras. En fait, il voyait beaucoup de matériel défiler mais sans expérience de plateau. Trois profils vraiment différents, auxquels il était intéressant de s’adapter.
Leurs questions étaient très différentes. Parfois, on peut aussi ne pas oser poser certaines questions parce qu’on se dit qu’en tant qu’assistant caméra, on devrait avoir la réponse, alors que quand c’est un étudiant en BTS qui pose la question, ça passe mieux, et en fait la question profite à tout le monde. Cela créait une dynamique vraiment nourrissante.
- Qu’est-ce qui est le plus formateur dans ton métier ? La formation initiale que tu as reçue, les rencontres, les expériences de plateau ?
Marine Goujet : Le plus important, ce sont les rencontres, mais les rencontres sont façonnées, déterminées par la formation technique, et sa propre démarche personnelle. Je parlais de ma rencontre avec Denis Lenoir. Avec Denis, la rencontre a fonctionné parce que j’avais un solide background, des connaissances en optique, qui viennent de ma formation. J’ai rencontré Denis parce que je fais encore des courts métrages régulièrement dans une démarche de rencontrer de nouvelles personnes.
La personnalité est importante, mais le bagage technique est très important également. Moi-même j’apprécie de travailler avec quelqu’un qui comprend ce que je suis en train de faire, et qui peut anticiper mes besoins.
À la fin, chaque rencontre apporte une nouvelle façon de travailler, d’envisager les choses, c’est très enrichissant.
- Y-a-t-il une veille technologique à réaliser sur les nouvelles caméras et les mises à jour ?
Marine Goujet : Absolument. Même lorsque les chefs opérateurs font ce travail de veille, ils comptent quand même sur nous pour valider leurs choix, pour être sûrs. La révolution de l’Alexa 35, la Sony Burano… il y a tout le temps de nouvelles caméras, donc c’est essentiel de se tenir au courant. Il faut le faire tout le temps et sans attendre un projet spécifique. Si j’étais restée bloquée sur mes connaissances de Louis Lumière, je ne pourrais pas faire grand-chose à part des films en 35mm.