Entretien avec Pascal Nowak, étalonneur et formateur pour notre organisme, autour de son parcours en post-production, de ses premières expériences en étalonnage jusqu’à son approche technique et artistique de son métier.
Comment a débuté ton parcours ?
Pascal Nowak : J’ai démarré par un bac cinéma. J’avais envie de « faire » des films et j’ai fait mien le discours d’Orson Welles tenu lors d’une master class à la Cinémathèque Française en 1982 affirmant qu’il valait mieux « rêver » les films puis les tourner, avec une caméra volée s’il le faut, plutôt que de passer son temps à étudier les films des autres. Alors, tout de suite après le Bac, j’ai commencé par apprendre sur le tas en étant assistant réalisateur. Un soir, sur un plateau de télévision où j’étais 3e ou 4e assistant, j’ai vu des gens courir dans tous les sens, j’ai demandé ce qu’il se passait, on m’a répondu que le son était « antiphasé ». Je n’ai pas compris.
A ce moment-là, j’ai accepté l’idée que l’on n’était pas tous des génies comme Orson Welles, en tous cas pas moi. Je me suis dit qu’il me manquait au minimum quelques bases techniques. J’ai alors suivi une formation de deux ans en montage, à l’époque où celui-ci démarrait sa transition du monde analogique au monde virtuel.
C’est ainsi que tu as abordé la post-production ?
Pascal Nowak : Oui. J’ai vraiment découvert la post-production à ce moment-là. J’aimais que les projets soient déjà en partie faits et restent à finaliser. Je trouvais bien ma place à cet endroit.
J’ai donc abordé la post-production en intégrant une société pendant ma formation, en contrat de qualification. J’étais au milieu des régies de montage vidéo avec les magnétoscopes, les outils sons, les outils de trucage de type flame, et les régies de montage virtuel. J’ai ensuite intégré cette entreprise, « Écoutez Voir, » en tant que technicien d’exploitation.
En quoi consistait ton travail ?
Pascal Nowak : Au nodal, où étaient reliées toutes les régies, tous les magnétoscopes, notre travail consistait à assister les monteurs et truqueurs en préparant les sessions, les machines et parfois effectuer du montage simple.
Quand les journées se terminaient, on faisait les exports et les duplications. A l’époque, cela se passait sur bandes magnétiques U-matic, Beta SP, 1 pouce C… Puis très vite, tout est devenu numérique. Ce travail me permettait d’avoir un aperçu global de la post-production.
Quelle a été ta première approche de l’étalonnage ?
Pascal Nowak : Comme par accident, j’ai découvert une salle au fond d’un couloir, où il y avait plein de bobines de films. J’ai découvert que ça s’appelait un télécinéma, que ça consistait à transférer la pellicule sur de la vidéo. Et à l’époque, presque tout ce qui passait à la télévision était tourné en pellicule : clip, pub, téléfilms… J’ai aimé l’atmosphère de cet endroit. J’ai alors laissé tomber le montage pour me spécialiser dans l’étalonnage, qu’on appelait donc à l’époque télécinéma.
Petit à petit, je suis devenu assistant télécinéma. Dans ces années-là, on était assistant pendant au moins 3 ans, avant de passer étalonneur junior.
Un jour, l’étalonneur fixe qui travaillait chez eux m’a demandé de le remplacer pendant ses vacances.
J’ai essuyé les plâtres. Je manquais d’expérience. Mais on m’a donné ma chance. Je suis resté, et après cette période intermédiaire un peu rude mais formatrice, partagée entre le nodal et le télécinéma pour essayer d’apprendre pas mal de choses, lorsque la société a fermé, je me suis lancé en tant qu’étalonneur freelance.
Quelles ont été tes premières expériences en tant qu’étalonneur ?
Pascal Nowak : Pendant cette décennie 2000-2010, on tournait en pellicule, et on étalonnait en numérique. C’est une période qu’on appelait Digital Intermediate. On scannait la pellicule, comme un télécinéma. Or je connaissais bien le chemin de la pellicule transformée en vidéo, alors que dans les labos photochimiques, c’était moins évident. Pour notre génération, qui arrivait de la vidéo, tout à coup le chemin du cinéma est devenu accessible.
Mais de la pellicule, au numérique, au retour sur pellicule, il y a plein d’étapes. Si ce n’est pas parfaitement maîtrisé, ça peut vite donner n’importe quoi. En 2002, on m’a proposé d’aller travailler en Inde. J’y ai fait mes premières expériences. Puis ça s’est enchainé. Les pays dans le monde, au fur et à mesure qu’ils s’équipaient en numérique, cherchaient des gens expérimentés. Ça a été une décennie assez folle, j’ai travaillé en Australie, en Égypte, en Tunisie, en Norvège… Puis j’ai beaucoup travaillé en Turquie, j’étais le tout premier là-bas à faire du numérique. C’est l’endroit où j’ai le plus travaillé dans ma vie.
C’est en 2005, chez Mikros, que l’on m’a proposé mon premier film en numérique à Paris. C’était ma première vraie expérience de cinéma ici, une étape importante.
Avant 2005, quand tu as commencé à étalonner, tu as travaillé sur des clips, des pubs, des séries, comment ces expériences ont-elles forgé ton approche technique et artistique de l’étalonnage ?
Pascal Nowak : Un premier gros déclic survient lorsque je découvre le travail d’étalonnage photochimique au moment où « Écoutez Voir » rachète le laboratoire Telcipro. Rouge, vert, bleu, densité : seulement 4 paramètres à régler pour obtenir une image, souvent magnifique. Alors qu’en vidéo nous avions des énormes pupitres avec pleins de boutons, eux faisaient des choses superbes plus simplement. Je me suis dit qu’il fallait que je maîtrise ça, cette base : mélanger les couleurs primaires, et la densité.
Quand je suis passé freelance, j’ai fait le tour des labos pour me faire connaître. Dans un labo très reconnu, le directeur m’a fait faire un essai et quand il a vu le résultat, il m’a dit « Toi, tu as fait de la pub ». Il m’a fait remarquer qu’en film, les ambiances devaient être respectées d’une autre manière, accompagnées, c’était une remarque très constructive pour changer mon approche. Second gros déclic.
Quelles ont été les expériences et collaborations déterminantes dans l’apprentissage de ton métier ?
Pascal Nowak : De manière générale, au contact des autres, on se rend compte qu’il n’y a pas un modèle, une seule façon de faire. Les gens peuvent travailler de façons très différentes. On voit ça particulièrement lorsque l’on travaille à l’étranger. On apprend à se taire, à regarder. On n’impose pas son modèle. J’ai découvert que le cinéma est une industrie peuplée d’artisans. On a un savoir-faire technique, mais on le met au service d’une œuvre unique. On ne peut pas répéter mécaniquement des gestes même dans l’usine à rêves. Mes premières expériences m’ont appris ça.
Le dialogue est la clé. Les gens ont souvent du mal à exprimer leurs intentions. Il leur manque parfois le vocabulaire. Alors pour simplifier les choses, je leur dis moi-même » Si on applique tel traitement à l’image, je ressens ça, si on applique tel autre, je ressens plutôt ceci. Quel est le meilleur ressenti pour le film ? ». Il faut instaurer la confiance. Elle se gagne, sur le terrain, par la communication, précisément.
Je travaille plus étroitement avec les directeurs de la photographie, mais je pars du principe que les réalisateurs ont toujours raison. Ça fait des années qu’ils portent leur film. Ce n’est pas moi qui vais leur expliquer ce que le film doit raconter. En revanche, c’est ma responsabilité de faire en sorte que l’ensemble reste cohérent et corresponde au ressenti recherché.
La clé est de comprendre l’intention ?
Pascal Nowak : Absolument. Il m’est arrivé que l’on me donne des indications précises, « L’image doit être comme ça, avec plus de bleu, plus de jaune », mais sans que je comprenne réellement l’intention. Ça m’est arrivé avec Luc Besson, sur un film qu’il avait produit et dont il supervisait la post-production. On avait du mal à se comprendre. Un jour il m’a dit « Ce qu’on montre est invraisemblable, des gens qui sautent d’un immeuble à l’autre. Si tu fais une image très marquée, ça accentue l’invraisemblable, et je veux une image le plus naturaliste possible pour que ça puisse passer justement ». L’intention était là, simple. On a besoin de comprendre la raison pour laquelle l’auteur d’une histoire veut telle image.
Quelle est l’importance de l’outil sur lequel on travaille ?
Pascal Nowak : Il faut bien connaitre l’outil, quel qu’il soit. Aujourd’hui, DaVinci Resolve et Baselight dominent le marché. Resolve a révolutionné notre manière de travailler. Il fallait 3 ans d’assistanat pour devenir étalonneur, il n’y avait pas d’autres manières, il n’existait pas de formation, les stations d’étalonnage coutaient des centaines de milliers d’euros.
Blackmagic a dit « Je vous vends un logiciel, qui pourra s’adapter à plein de configurations ». Ça a démocratisé l’outil. Aujourd’hui, un adolescent peut commencer à faire de l’étalonnage sur Resolve pour sa chaîne Youtube.
Baselight reste plus dans une configuration à l’ancienne. Même s’ils mettent en ligne une version gratuite et des tutos, c’est une ergonomie plus complexe. Ce sont deux philosophies très différentes qu’il faut savoir maitriser pour en tirer le meilleur.
Comment as-tu commencé à dispenser de la formation en parallèle de ton métier ?
Pascal Nowak : Lorsque j’ai commencé comme assistant, il a d’abord fallu que je me forme sur le terrain, tout seul, en quelque sorte. Puis, quand je suis devenu freelance, on était une quinzaine d’étalonneurs à maîtriser le numérique et à courir un peu partout dans le monde en formant des gens. Aujourd’hui, on a des gestionnaires de projets, très qualifiés, qui ne sont plus à coté de nous. On ne les voit plus. C’est frustrant de ne plus former personne.
Il y a quelques années, j’en ai parlé à Aurélie Laumont, une étalonneuse qui avait créé la « Formation au métier d’étalonneur », avec les lapins bleus. Je lui ai parlé de mon envie de transmettre. Et elle m’a demandé de la remplacer pour une session. J’ai ensuite renouvelé l’expérience à plusieurs reprises, en formant des stagiaires sur DaVinci Resolve comme au métier d’étalonneur. J’ai participé à l’initiative d’un « Perfectionnement au métier d’étalonneur, » en transmettant les demandes que j’avais reçues de la part des stagiaires. Certains trouvaient que deux semaines était une durée un peu courte.
Donc avec Aurélie et Sebastien Mourry, le Responsable pédagogique, on a imaginé une troisième semaine, de perfectionnement, comme un stage distinct à suivre dans un deuxième temps. J’ai suggéré l’intervention d’un chef opérateur pour évoquer l’importance de la collaboration entre nos deux métiers.
La formation vient-elle nourrir ton travail d’étalonneur ?
Pascal Nowak : Oui, car elle m’oblige à verbaliser des choses que je fais parfois sans trop y penser. Je m’interroge : « Qu’est-ce que je fais ? Comment je le fais ? ».
Pour dispenser du contenu toujours pertinent, j’effectue une veille technologique qui me permet de devenir encore plus à l’aise dans la pratique des outils.
Parmi les stagiaires, il y a des profils différents. J’essaie de faire une sorte d’atelier, pour qu’entre eux ils puissent également partager leurs connaissances. Je trouve que c’est plus valorisant que de leur dire uniquement « vous êtes là pour apprendre ».
Ainsi ils interagissent davantage entre eux, et ce sont des rencontres intéressantes, entre ceux qui viennent de la post-production, ou de l’image.
Comment vois-tu évoluer ton métier ?
Pascal Nowak : Les évolutions sont constantes et heureusement, car à aucun moment, on ne peut se reposer sur ses lauriers. Les outils changent tout le temps. Le color management, les espaces couleurs, le HDR, des caméras toujours plus perfectionnées, DaVinci Resolve, devenu une suite logicielle très puissante que l’on peut avoir gratuitement sur un iPad…
Aujourd’hui tout le monde peut venir à l’étalonnage, même s’il vaut mieux savoir en préambule ce qu’est un fichier numérique ou un gamut. La démocratisation des outils permet à beaucoup de gens de s’initier.
Mais il y a aussi un risque : certains peuvent penser « j’ai téléchargé un logiciel d’étalonnage, j’ai tout ce qu’il faut. ». Il faut parfois se battre pour conserver des conditions de travail adéquates comme l’environnement lumineux de la salle d’étalonnage ou la calibration des écrans. Il est possible que dans un avenir proche, une partie des taches d’étalonnages se fasse de manière automatisée par des technologies à base d’IA. Restera alors à effectuer la partie la plus créative. Soyons optimistes !